samedi 1 août 2009

Chastre 2009 / Du portrait au corps a corps

Laissons le philosophe Roland Barthes à son « mystère de la chambre claire » quand il écrit que « chaque fois que je me fais (que je me laisse) photographier, je suis immanquablement frôlé par une sensation d’inauthenticité, parfois d’imposture ». Il souffre sans doute de ce mal que décrit la photographe Imogen Cunningham : «Tant de personnes ont tellement peu d’estime de soi qu’elles ne trouvent jamais aucune reproduction d’elles-mêmes qui leur convienne. Aucun d’entre nous n’est né avec le visage qui lui convient.»(1)

Il n’est bien ici question que de confiance, car le portrait exige de chacun de s’abandonner à la relation photographique.
Du photographe qu’il cesse de se projeter, et de se représenter dans chacune de ses photos, pour enfin, dans le portrait, voir l’autre et le laisser s’exprimer. Fut-ce d’ailleurs pour en sortir quelque chose que ce dernier n’aurait jamais soupçonné.
Du sujet qu’il cesse de se cacher, de se la jouer impassible, d’afficher une « face de poker » ou de simuler la spontanéité, tout autant que d’éviter la pose, le sourire coincé ou l’air inspiré. Cesser avant tout de feindre ignorer la présence du photographe.

Et c’est Robert Capa qui m’a offert une autre clef : «Si tes photos ne te semblent pas bonnes, c’est que tu n’étais pas assez près !» (2) Même si, le reporter de guerre ne parlait évidemment pas de portrait…
Mais qu’à cela ne tienne, c’est au plus près que je suis allé chercher mes sujets, et, faisant sauter la “distance de sécurité” qui sépare rituellement le photographe de son modèle, je leur met mon énorme boitier sous le nez, leur fait entendre le boucan mécanique de la prise de vue, ils me regardent au moins autant que je les regarde.
Comme le dentiste, je leur affirme que cela ne fera pas mal! Et, au moins, contrairement à l’arracheur de dents, je tiens mes promesses!

Et, miracle, au bout d’un instant, le modèle se détend, quand il n’éclate pas de rire!
Il ne se voit pas, ne s’imagine plus, se représente si peu, tant mon point de vue lui est étrange. Celui d’un voisin de table, de bus ou d’ascenseur ; ou celui peut-être d’un compagnon de lit. Vois-je son oreille, son col, le bout de son nez ? Un œil ou les deux?
L’intimité est telle qu’il n’est plus temps de se cacher ou d’esquiver…
Seulement celui d’accepter, totalement, le corps à corps avec le photographe, ou de le refuser.

Je ne touche pas… Même pas pour remettre en place une mèche rebelle.

Mais mon appareil vole de ci de là, cueillant des images et des impressions comme le ferait des odeurs la truffe d’un chien ou le museau d’un chat sur un humain acceuillant.


Charles LEMAIRE
Juillet 2009
«Closer / Plus près / Dichterbij» - Chastre, Septembre 2009

(1) So many people dislike themselves so thoroughly that they never see any reproduction of themselves that suits. None of us is born with the right face. It’s a tough job being a portrait photographer. - Imogen Cunningham (Source www.photoquotes.com)
(2) If your pictures aren't good enough, you're not close enough. – Robert Capa