(En mémoire de Lucie Lemaire – 1929-2010)
Comment vivre tant d’années encore avec un être qui n’est déjà plus là ? Dont la parole n’a plus de sens que par accident, et si rarement au bon moment. Dont le regard n’est que tourné en dedans, pour ne percevoir que des choses invisibles ou impossibles. Comment aussi réconcilier l’image de celle qui fut une mère, celle qui dicte et qui surveille, écoute et rassure, avec ce nouvel être plus dépendant et angoissé qu’un bébé ? Si absente après tant d’années de présence.
Sinon de devenir la mère de sa mère. De l’imaginer sourde et muette en même temps qu’aveugle. De s’adresser à ses autres sens. Et ainsi d’abord, comme on le fait d’un nourrisson, de la nourrir à notre tour, comme elle l’a si souvent fait.
De lui offrir la présence rassurante d’un corps tout proche, d’une odeur et d’une respiration qu’elle a sorties de son corps un demi-siècle auparavant. De lui abandonner une main qui rassure ou permet de trouver le sommeil. De lui prêter un doigt ou un poignet à serrer, et l’empêcher ainsi peut-être de s’égarer dans les terribles abysses du délire.
Plus près.
Et puis photographier quand même, mais autrement.
Parce qu’à moi le regard ne m’a pas encore été enlevé.
Parce que tenter d’oublier les temps difficiles ne rend le travail de mémoire que plus amer.
Charles Lemaire / Wavre 2011
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